Les casernes militaires de Beaumont sont particulièrement intéressantes d’un point de vue archéologique, car elles sont implantées sur un espace fortement occupé entre le IXe et le XVIIIe s. L’étude documentaire réalisée en 2017 par Françoise Yvernault (Inrap) à partir des documents d’archives a permis de restituer une histoire du site. La fouille archéologique devrait permettre de confirmer ou d’infirmer les sources textuelles.
Le site de Beaumont est localisé dans la Varenne, c’est-à-dire la plaine alluviale de Tours (marécageuse et régulièrement inondée) (Fig. 1) s’étendant entre la Loire et le Cher et correspond à une petite surélévation naturelle d’environ 1 m à 1,50 m qui est à l’origine du nom : « Beau Mont ». Cette petite butte est située à environ 1 km au sud-ouest de la ville médiévale et à 700 m de la dernière enceinte de la période moderne (Fig. 2).
Premières mentions
Un lieu « Belmons » est mentionné en 845 puis en 966 ap. J.-C. dans les chartes de la collégiale Saint-Martin de Tours. Une chapelle Notre-Dame-des-Miracles est évoquée (Carré de Busserole 1880) antérieurement au début du XIe s. Il s’agit très probablement d’un premier lieu de culte.
Au tout début du XIe s., le lieu est choisi par Hervé de Buzançais, trésorier de Saint-Martin pour y implanter l’abbaye de Beaumont, un établissement monastique de femmes (moniales) suivant la règle de Saint-Benoît. Les premières religieuses viennent de l’église Notre-Dame-de-l’Écrignole située au niveau de la place Châteauneuf actuelle. Il semble que la chapelle Notre-Dame-des-Miracles ait subsisté puisqu’elle est régulièrement mentionnée jusqu’à la Révolution. Elle a très certainement été intégrée au complexe monastique, dans l’église abbatiale ou à proximité immédiate de celle-ci.
L’abbaye de Beaumont restera une dépendance du chapitre de Saint-Martin jusqu’au XVe s. Elle passera ensuite sous domination de l’archevêque de Tours à partir de 1602. Une chapelle Saint-Jean-l’Evangéliste dont la date de fondation est inconnue est mentionnée comme appartenant à l’abbaye au XIIe s. et sera érigée en église paroissiale au début du XIIIe s. (attestée en 1211). Elle sera reconstruite en 1451 (Carré de Busserole 1880) et sa nef subsiste encore aujourd’hui comme logement privé (rue de Beaumont).
L’établissement monastique
Les sources d’archives évoquent dès le XIIIe s. la présence de terres cultivées, de prairies et de vignes à la périphérie de l’abbaye (Fig. 3). L’établissement monastique est entouré d’une importante clôture, elle-même subdivisée en trois espaces distincts : l’enclos régulier, la cour d’accueil et les jardins et vergers.
La cour d’accueil (environ 1ha) est située dans l’angle nord-ouest du site et correspondait à l’entrée principale du complexe monastique. L’accès à l’abbaye se faisait par l’actuelle rue du Plat d’Étain. L’enclos régulier (environ 1 ha) se localise au sud-ouest de l’enclos général et comprend l’église abbatiale avec le cloître en partie sud et plusieurs cimetières. Le carré claustral est entouré de différents bâtiments utilisés par la communauté (cuisine, réfectoire, salle capitulaire, dortoirs …). À partit du XVIe s. un logement abbatial est mentionné à la limite de ces deux premiers espaces. Celui-ci sera déplacé à plusieurs reprises en raison d’incendies qui détruiront cette résidence de l’abbesse. Les deux tiers orientaux de l’enclos correspondent à un vaste espace d’environ 4 ha qui était dévolu aux jardins et vergers pour nourrir les religieuses.
Les documents d’archives mentionnent différents espaces qu’il est parfois difficile de localiser. Ainsi, il est évoqué dans l’enclos régulier, un pensionnat, une infirmerie, une apothicairerie, une cellerie, une dépositairerie, un chartrier, une boulangerie … Dans la cour d’accueil ou en périphérie proche, des écuries, des granges, une étable, des chambres (pour les serviteurs), des logements pour des officiers (laïcs ou religieux), une orangeraie et un pigeonnier sont nommés.
Les effectifs de la communauté sont connus uniquement pour la période courant du XVIe au XVIIIe s. Ils oscillent entre 25 et 35 personnes et semblent ne comprendre que les sœurs de chœur (les sœurs converses ne sont pas mentionnées). Ainsi, 35 religieuses sont citées en 1576, 25 en 1587, 28 en 1673, 34 en 1695. En 1790, 34 religieuses de chœur et 11 converses sont évoquées.
Aléas de la fin du Moyen Age à la Révolution
Le site semble avoir connu des destructions lors de la guerre de Cent Ans. En effet, devant la menace anglaise, la plupart des établissements périphériques dans les faubourgs de la ville de Tours sont détruits. Aucune précision n’est donnée sur la nature de ces destructions. Il est simplement mentionné en 1358 des « journées d’ouvriers pour affaiblir le lieu de Beaumont ». Des textes évoquent encore la récupération de pierres extraites à Beaumont en 1364 et 1365. Les comptes de la ville n’indiquent pas dans quelle mesure les bâtiments de l’abbaye sont atteints. Les destructions pourraient se limiter, comme ce qui est mentionné pour le prieuré Fontevriste de la Madeleine à Orléans quelques années plus tard, à la mise à bas du mur de clôture général pour éviter que l’ennemi ne s’y retranche et puisse s’abriter derrière les hauts murs. Il est probable que les religieuses ont abandonné le site au milieu du XIVe s.
Aucune mention de destruction n’a été consignée pour les guerres de religion du XVIe s., mais les religieuses désertent le site en 1567 et ne le réintégreront qu’en 1568. Elles fuiront à nouveau en 1576 et 1587.
Des inondations ont aussi marqué la vie de l’abbaye. Ainsi, en 1585, les crues sont tellement importantes que l’on pouvait venir en barque jusqu’à l’entrée de l’abbaye (Rue du Plat d’Étain). Il semble toutefois que l’enclos régulier n’ait pas été atteint en raison de sa position surélevée.
En 1680 et 1784 des incendies détruisent quelques bâtiments (dortoirs, chambre de l’abbesse et bibliothèque).
Le monastère sera confisqué comme Bien national à la Révolution et les moniales seront chassées. Les lieux sont alors divisés en différents lots et revendus aux plus offrants. À cette occasion, un inventaire des lieux et un plan sont dressés en 1790 et nous renseignent sur le dernier état de cet établissement monastique (Fig. 4). Les propriétaires des nouveaux lots détruiront les bâtiments et exploiteront les matériaux pour les revendre. La clôture générale sera en grande partie préservée. Seuls quelques bâtiments seront préservés dans l’angle nord-ouest (Fig. 5) ; certains subsistent encore actuellement (angle de la rue du Plat d’Etain et de la rue de Beaumont).
Il présente l’abbaye et des bâtiments (en rouge) répartis en différents lots en préalable à la vente comme Bien national (Source : ADIL, H763PL)
De l’abbaye aux casernes
En 1866, l’hôpital général (ancien nom de l’actuel Hôpital Bretonneau) situé à quelques centaines de mètres plus au nord acquiert les terrains. Ils seront utilisés pour la culture maraîchère et seront exploités par les déficients mentaux (la clôture permet d’éviter qu’ils s’échappent). Le produit de ces cultures sert à nourrir les malades de l’hôpital.
Entre 1870 et 1888, les lieux seront utilisés à plusieurs reprises comme ambulance militaire afin d’y soigner les soldats lors de crises épidémiques.
En 1913, l’armée rachète les terrains pour y établir une caserne militaire. De nombreux bâtiments y seront alors construits. En 1940, des tranchées de défenses passives y seront creusées pour s’abriter d’éventuels bombardements qui ne surviendront jamais. Les troupes allemandes occuperont les lieux jusqu’en 1944.
Ces casernes, qui reprenaient l’implantation exacte de l’établissement monastique (quasiment la même clôture), seront désaffectées en 2013. Un éco-quartier doit succéder à ces deux grandes occupations historiques.
